16 idées pour retisser du lien entre les citoyens et les partis politiques

Le processus participatif « Il fera beau demain », c’est plusieurs milliers de citoyens, d’ONG, d’entrepreneurs et d’experts qui ont été consultés depuis deux ans. C’est aussi près de 25.000 fans sur Facebook, dont une majorité n’ont aucun lien avec un parti politique. Ce processus unique en Belgique aboutira dans quelques jours à la création d’un nouveau mouvement politique qui prendra le relai du cdH. La démarche est complètement ouverte. On a donné les clés d’un parti à la population ! Le nom, le logo, les statuts, le manifeste, le programme, la future présidence… tout sera soumis au vote des adhérents en mars et en mai 2022. Si vous n’avez pas pu participer au processus, il est encore temps de vous inscrire sur www.ilferabeaudemain.team et, pourquoi pas, nous rejoindre le 12 mars à Bruxelles !
C’est dans ce cadre que l’équipe Il fera beau demain de Wallonie picarde et le Tournaisien Jeremy Dagnies ont organisé une soirée-débat le 8 décembre dernier à propos du fossé qui se creuse entre les citoyens et les partis politiques mais aussi du rôle que pourraient jouer les élus locaux, qu’ils soient apparentés ou a-partisans. A cette occasion, deux invités externes, Benjamin Biard (CRISP/UCLouvain) et Benjamin Brotcorne (liste tournaisienne Ensemble !) ont pu partager leur analyse et leur vécu.
Complémentairement à la soirée, une enquête en ligne et plusieurs interviews individuelles ont été menées auprès de citoyens aux profils variés. Au total près de 240 personnes ont contribué à cette réflexion. Un rapport d’une centaine de pages vient d’être publié et met en évidence de nombreux témoignages et une série de propositions ou pistes de réflexions visant à restaurer la confiance et le désir de s’engager en politique.
Et il y a urgence, tant le niveau de défiance et de désintérêt est grand ! Selon plusieurs études universitaires, 70% des Belges ne font plus confiance aux partis politiques. 60% trouvent que les politiciens sont déconnectés de la réalité. 50% n’iraient plus voter si le vote n’était plus obligatoire. 20% votent blanc, nul ou s’abstiennent. 20% accordent leur suffrage à des partis extrémistes, populistes ou révolutionnaires. Soit 40% de la population qui tournent le dos aux partis modérés ! De moins en moins de personnes souhaitent s’engager en politique, comme si ce milieu devenait « rebutant ». Le phénomène ne doit surtout pas être pris à la légère ! Ce serait méprisant pour plus d’un électeur sur deux. Ce serait surtout dangereux pour l’avenir de notre démocratie.
Comment stopper l’hémorragie et amorcer une dynamique plus positive ? Les participants à notre grande consultation proposent de nombreuses idées dans des domaines variés, qui ne relèvent pas exclusivement de la responsabilité des partis et des élus.
Ces idées touchent aux institutions comme réduire drastiquement le nombre de Gouvernements, parlements et niveaux de pouvoir (neufs Ministres de la santé, cela ne doit plus exister !), revoir à la baisse les plus gros salaires (notamment ceux des Ministres) et revaloriser la rémunération d’autres mandats (notamment dans les petites communes), instaurer une circonscription fédérale et refédéraliser ou régionaliser entièrement des compétences (pour rendre les décisions plus efficaces et plus lisibles), organiser plus souvent des référendums et leur donner un caractère contraignant, constituer une chambre des citoyens dans chaque Parlement avec des députés tirés au sort ou encore prendre en compte les votes blancs dans l’attribution des sièges parlementaires.
Elles concernent aussi le socioéconomique : le libre marché planétaire et dérégulé (combiné à la mise en concurrence des Etats et à l’absence d’une véritable autorité politique internationale) épuise la planète et les êtres humains, appauvrie une majorité de la population et accentue les inégalités. Il rend les Gouvernements de plus en plus impuissants, donnant l’impression aux citoyens que les politiciens sont « menteurs », « déconnectés » ou « incompétents ». Pour restaurer la confiance envers le monde politique, il faut bien sûr refonder le système et les pratiques politiques. Mais il faut aussi permettre aux citoyens de vivre mieux. Et pour ce faire, on doit changer de modèle socioéconomique et agir à l’échelon européen et mondial afin de redonner du pouvoir à nos décideurs politiques face aux multinationales, aux fonds d’investissements spéculatifs, aux paradis fiscaux et aux Etats pollueurs ! La crise est systémique.
Par ailleurs, les personnes que nous avons consultées évoquent le rôle important de l’école et des médias (traditionnels et numériques) pour que les citoyens puissent à nouveau s’intéresser à la chose publique, développer des compétences politiques et civiques, mieux comprendre les enjeux et la complexité des décisions, mieux défendre leurs idées auprès des décideurs et d’autres personnes, ne plus se faire manipuler par les « fake news », rester critique à l’égard de l’information diffusée par la presse ou encore avoir accès à des informations de meilleure qualité.
Last but not least, que peuvent faire les partis politiques et les élus ? 16 idées se dégagent de notre consultation :
1. Imposer le décumul intégral des mandats politiques et publics. On doit se consacrer à 100% dans sa mission ! Et cela permet de beaucoup mieux partager le pouvoir et de confier des responsabilités à de nouveaux visages et notamment aux jeunes. Une alternative : instaurer un système à points (avec des points attribués en fonction du type de mandats) et fixer un plafond de points à ne pas dépasser.
2. Limiter la carrière parlementaire à 10 ans (si on a été Ministre) ou 15 ans (si on n’a jamais été Ministre). Une carrière de Ministre également plafonnée à 10 ans. Dans tous les cas, être parlementaire ET Ministre ne durerait jamais plus de 20 ans (au total). Selon notre échantillon, on doit renouveler plus souvent la classe politique. Certains responsables politiques sont là depuis trop longtemps et il faudrait laisser la place à d’autres citoyens et aux jeunes. Nous devrions aussi appliquer la même règle au niveau local (conseiller communal/CPAS et membres du collège).
3. Encourager les responsables politiques à montrer l’exemple au quotidien et à passer de la parole aux actes quand ils prennent des décisions, à « mettre la main à la pâte » (adopter un style de vie qui traduit dans son quotidien ses choix politiques comme, par exemple, avoir une alimentation ou une mobilité durable ; mettre en œuvre des projets concrets humanitaire, culturel ou sportif ; donner de son temps personnel pour une cause que l’on porte ; modérer son salaire de mandataire en versant une partie à une bonne cause…). Les citoyens interrogés en ont marre des doubles discours (« Faites ce que je dis mais surtout pas ce que je fais »).
4. Privilégier un organigramme plat dans lequel les adhérents et sympathisants sont invités à régulièrement s’exprimer et voter sur des positions et des propositions qui seront ensuite portées par le mouvement. 100% des documents fondateurs (manifeste, statuts, stratégie, priorités, valeurs…) doivent aussi être validés par la base et être adaptés si une majorité d’adhérents le désirent. L’utilisation des outils numériques (sondages, panels citoyens, visioconférences…) peut y contribuer !
5. Dans une formation politique et ses composantes locales, faire place à un processus décisionnel par projet et par équipe où chacun est mis sur un pied d’égalité ! Lorsque quelqu’un représente l’équipe (une section, un arrondissement, un groupe de travail thématique…) dans un organe décisionnel ou une institution, il lui partage l’information, la consulte au préalable et lui rend des comptes ensuite. Il faut en tout cas éviter la multiplication des couches hiérarchiques et des fonctions poussiéreuses ou encore la concentration du pouvoir dans les mains de « chefs » locaux prenant des décisions unilatérales (en raison de la règle de la « délégation » qui permet à une personne de décider seule une fois qu’elle a été désignée).
6. Mettre en place de règles et procédures de délibération et de décisions internes aux partis qui soient transparentes, claires, prévisibles et justes. Lorsque les adhérents ne sont pas d’accord entre eux, ils doivent pouvoir se rassembler autour d’une position votée à la majorité (qualifiée ?) après un vrai débat où chacun peut s’exprimer librement et où l’information est accessible à tous. Même si elle s’écarte de son opinion ou de ses intérêts personnels, une décision peut être perçue comme juste si elle est prise de façon régulière et transparente, qu’elle se fonde sur des motivations qui font sens et que chacun a pu s’exprimer et être traité avec respect.
7. Amener les partis à défendre de grandes causes sociétales ou « combats » du 21ème siècle (exemple : la défense des droits humains dans le monde ; la sauvegarde de l’humanité et du vivant face au réchauffement climatique, aux pollutions et aux maladies ; la promotion d’une démocratie plus participative, plus simple et plus sincère face aux petits jeux politiciens et face à la montée des populismes et extrémismes ; le droit pour chacun de trouver sa place dans la société et de vivre une vie heureuse ; la lutte contre toutes les formes de pauvreté : économique, relationnelle, intellectuelle, culturelle…). Certaines causes peuvent d’ailleurs rassembler des citoyens d’horizons différents, sans nécessairement cliver la société. En effet, une majorité de répondants ne se reconnaissent plus dans les vieilles idéologies (avec un projet de société « clé sur porte ») qu’il faudrait appliquer à la lettre, qui seraient par nature incontestables, quasi « religieuses », et qui auraient tendance à stigmatiser une partie de la population.
8. Permettre aux adhérents et sympathisants de s’identifier à ce(s) grand(s) combat(s) (« M’engager pour ce combat avec une formation politique participe à donner un sens à mon existence ; à rendre notre monde meilleur ; à me définir moi-même par rapport autres ; à me sentir utile et moins seul… »). Un mouvement politique doit avoir une identité lisible, qui fait sens et qui touche le cœur des citoyens. Les citoyens semblent en tout cas prêts à s’engager aux côtés ou au sein d’un mouvement politique si celui-ci est déterminé à répondre à des injustices fondamentales qui suscitent l’indignation ou à combattre des menaces sérieuses pour l’humanité et l’avenir de notre planète.
9. Comme le souligne un participant, « s’engager en politique et pour un parti doit d’abord être un acte d’amour, de courage et de sacrifice pour les autres ». Faire de la politique devrait être mieux considéré par la population, au même titre qu’enseigner dans une école ou soigner des patients dans un hôpital. Malheureusement, bon nombre de citoyens perçoivent le monde politique comme un jeu de poker dominé par des joueurs calculateurs, parfois manipulateurs, qui servent d’abord leurs propres intérêts (accéder au pouvoir, le maintenir, obtenir des avantages financiers et matériels, être visible pour nourrir son égo, affaiblir ses concurrents…). On doit changer cette image ! Les partis politiques pourraient par exemple définir une charte d’engagements et de principes et adapter leurs statuts de manière à promouvoir l’investissement désintéressé et bienveillant et, le cas échéant mieux sanctionner les comportements déviants. Les médias pourraient également mettre en lumière le quotidien de certains élus ou collaborateurs politiques qui ne comptent pas leurs heures pour servir l’intérêt général ou porter de bonnes causes.
10. Donner la possibilité aux citoyens de s’engager pour un mouvement politique autrement qu’en devenant affilié-cotisant ou candidat. Un sympathisant, un expert ou un citoyen engagé doit avoir la possibilité de participer à des réflexions, discussions, décisions, projets d’un mouvement politique sans nécessairement devoir payer un droit d’inscription et recevoir une carte de parti. Beaucoup de citoyens sont disposés à s’engager « aux côtés » d’une formation politique avec qui ils partagent les mêmes valeurs et défendent les mêmes causes. A condition de respecter leur désir d’autonomie et de liberté d’expression et d’initiative. Cette diversification des modes de participation permet de répondre à la peur de certains de se retrouver encastrés « dans » un parti qui imposerait ses décisions, sa ligne politique et sa discipline, « par le haut ».
11. Au niveau local, faire passer les arrondissements/sections de parti d’une logique de « club fermé » répondant à une certaine hiérarchie, vers une logique de « plateforme/réseau/forum » ouvert, hybride et collaboratif où toutes les bonnes volontés peuvent contribuer, s’exprimer librement et prendre des initiatives, qu’ils soient ou non affiliés-cotisants. En échange, le relai local du mouvement national pourrait fournir des services divers (infos, conseils, notes…) aux membres du réseau. Ceci permettrait d’articuler de façon plus souple et harmonieuse les dynamiques locales (listes et mouvements citoyens) et les activités d’un parti politique national.
12. Donner à chaque candidat les mêmes chances d’être élu (même visibilité dans les médias et l’affichage, soutien financier égal pour tous, tirage au sort des places sur la liste…) et, en cas de non-élection, lui proposer dans un délai acceptable de vraies responsabilités. Cela devrait être facilité par le décumul des mandats (voir plus haut). La limitation dans le temps des mandats nationaux et locaux contribuera aussi à un meilleur « turnover » (renouvellement). Complémentairement, les partis devraient mieux tenir compte des contraintes familiales et professionnelles des citoyens disposés à s’engager (utilité, fréquence, durée et horaires des réunions ; possibilité de suivre la réunion à distance ; meilleur soutien auprès des candidats ; diversifier les formes de contributions comme par exemple réaliser un projet ou rédiger un texte sans nécessairement être présent lors d’une réunion ou d’un événement…).
13. Reconnaître le rôle joué par chaque candidat non élu dans le succès d’une liste et donc dans l’élection d’un parlementaire. Durant la législature, un député devrait associer dans son action quotidienne l’ensemble de la liste grâce à laquelle il a été élu. Il devrait par exemple avoir l’obligation de régulièrement lui partager l’information, la consulter voire de leur rendre des comptes. Son parti devrait aussi mieux intégrer les candidats non élus aux processus et organes de décisions.
14. Être plus humble, constructif et positif dans son discours et ses rapports avec les autres formations politiques. Il faut arrêter de systémiquement critiquer tout ce que fait ou propose un parti concurrent. On doit pouvoir saluer les bonnes idées et initiatives, même quand elles ne viennent de son parti politique. On doit aussi être plus sincère avec les électeurs, en leur expliquant pourquoi il n’est pas toujours possible de prendre et mettre en œuvre d’un coup de cuillère à pot une décision que tout le monde souhaite. Les contraintes (juridiques, politiques, budgétaires, techniques…) sont énormes. Malheureusement, trop de politiciens multiplient les promesses intenables ou font croire que « comme par magie », une fois au pouvoir, ils pourront révolutionner nos vies. Il faudrait aussi obliger les élus et candidats à systématiquement apporter la preuve de leurs affirmations (par exemple en mettant en ligne les références, chiffres, documents, photos… sur lesquels ils se fondent) ou à défaut, à préciser qu’il s’agit de leur impression personnelle et non d’une réalité objective. L’humilité doit enfin conduire nos élus à ne pas s’approprier le travail mené par d’autres (par exemple un nouveau Ministre qui s’approprie un projet lancé par un ancien Ministre ; une majorité qui reprend une idée de l’opposition, en la présentant comme la sienne).
15. Renforcer la transparence des partis, en publiant chaque année la liste des lobbies avec qui les élus et responsables ont été en contact, mais aussi en créant un comité de déontologie mixte composé en partie de membres du mouvement et en partie de citoyens non politiques.
16. Mettre en place une procédure de désignation des mandataires publics (auquel un parti a droit sur base de la « clé D’hondt) avec un appel à candidatures ouvert vers l’extérieur (n’importe quel citoyen pourrait alors postuler), avec une procédure de sélection objective (CV, épreuve écrite ou orale, jury) et la motivation de la décision finale. Chaque mandataire public désigné serait évalué chaque année de manière à s’assurer qu’il accomplit sa mission avec intégrité et professionnalisme. A nouveau, il faudrait veiller au décumul et à limiter le nombre de « reconductions » pour donner la chance à tous de prendre des responsabilités.
Toutes ces idées émanant de notre consultation citoyenne méritent notre meilleure attention ! Certaines pourraient être approfondies. D’autres pourraient faire l’objet d’un débat à part entière. Elles doivent en tout cas encourager les partis politiques à se réinventer. A cet effet, nous avons transmis le fruit de notre réflexion citoyenne aux instances du processus Il fera beau demain – Mouvement positif. Nous avons également publié le rapport en ligne de manière à le rendre accessible à tous.
Le 12 mars à Bruxelles, Il fera beau demain deviendra un mouvement politique. A cette occasion, un projet provisoire de statuts et de manifeste sera présenté aux participants. D’ici fin avril, si vous le souhaitez, vous pourrez proposer des modifications (amendements) et les soumettre au vote de l’ensemble des adhérents. Si les 16 idées que nous venons de détailler vous parlent, c’est le moment de les soutenir ! Plus vous serez nombreux à vous inscrire sur la plateforme, à partager vos amendements et à voter, plus le futur mouvement vous ressemblera ! Plus d’info sur www.ilferabeaudemain.team.