Faut-il taxer les robots plutôt que les travailleurs ?

L’Etat et la sécurité sociale sont majoritairement financés par les travailleurs, alors que les industries les remplacent de plus en plus par des robots et des machines.
Ne faudrait-il pas baisser la fiscalité et les cotisations sur le travail et taxer à la place les robots et les machines ? Est-ce que cela permettrait de réduire le coût du travail et de s’assurer que toutes les entreprises contribuent équitablement ? Ou est-ce que cela mettrait à mal notre compétitivité et freinerait l’innovation ?
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Qu’est-ce que la taxe robot ?
La taxe robot est une taxe qui serait appliquée à tout usage de technologies robotiques ou d’automatisation.
Le développement croissant de la technologie constituerait une menace pour l’emploi des travailleurs, en particulier ceux qui sont peu et moyennement qualifiés.
Les nouvelles technologies supplanteraient une partie du travail manuel industriel traditionnel et menaceraeint des emplois dans des secteurs qui semblaient jusqu’ici préservés de la robotisation et d’autres développements technologiques, comme par exemples des métiers de bureau (dits de « cols-blancs ») comme les comptables, les radiologues ou les juristes qui font face à l’avènement de l’intelligence artificielle.
L’idée d’une taxe sur les robots n’est pas nouvelle. Elle a été émise en 2017 par l’eurodéputée luxembourgeoise Mady Delvaux avant d’être reprise à son compte par Benoît Hamon lors de la campagne présidentielle de 2017. Même Bill Gates souhaite avancer dans cette direction. « Aujourd’hui, par exemple, on taxe le revenu d’un ouvrier d’usine. Si ce travailleur est remplacé par un robot, ce dernier devrait donc rapporter les mêmes impôts ». Leur but à tous : financer des éléments de protection sociale, notamment un revenu universel via une taxe sur les robots. L’idée était d’affecter les impôts versés par le propriétaire des robots à la réorientation de la main-d’œuvre humaine pour qu’elle puisse mieux s’adapter aux futures évolutions technologiques. Les anciens ouvriers d’usine, chauffeurs et caissiers qui voient leur travail confié à un robot, peuvent ainsi se « réorienter » pour devenir agents de santé, enseignants ou occuper d’autres fonctions que les robots ne sont pas (encore) capables de remplir.
Dans une analyse réalisée par son bureau d’étude, le syndicat CSC estime que la part de la valeur ajoutée créée dans l’économie qui revient aux travailleurs diminue systématiquement avec le temps. Ainsi, entre 1996–2000 et 2011–2015, la part des plus-values qui revient au capital en Belgique a augmenté de dix pour cent, passant de 36,9% à 40,3%1. Inversement, la part de la valeur ajoutée qui revient au travail a fortement diminué.
Un régime fiscal équitable doit tenir compte de ces évolutions et s’y conformer. En effet, les pouvoirs publics dépendent dans une large mesure des cotisations des salariés pour exécuter leurs tâches et assurer le financement de la sécurité sociale. La diminution de la part de la plus-value économique créée qui revient aux travailleurs met ce modèle à mal.
Soit les pouvoirs publics augmentent les charges qui pèsent sur le travail, soit ils décident de déplacer les charges du facteur qui régresse (le travail) vers d’autres bases imposables. Dans ce contexte, la proposition d’introduire une taxe sur la robotique prend de plus en plus d’importance.
La taxe sur les robots permettrait de financer la Sécurité sociale en favorisant l’emploi et en assurant que ce financement repose équitablement entre le travail et le capital. Cette taxe permettrait également que l’automatisation de l’économie et la destruction des emplois qui y serait liée contribue au progrès social et non à la destruction de toute solidarité.
La transition numérique enclenchée depuis plusieurs années et qui s’accélère à la faveur de la pandémie rend désormais inévitable un débat sérieux et démocratique sur le sujet de la taxe robot.
Taxe robot dans le monde
La Corée du Sud a été le premier pays à introduire une taxe sur les robots en 2017. Il ne s’agissait pas d’un impôt direct à proprement parlé, mais d’une réduction de la déduction fiscale pour les investissements dans des machines automatisées.
M. Andrus Ansip, commissaire européen, est fortement opposé à cette taxe. Il craint que si l’Europe introduit une telle taxe, les autres économies la dépasseront. La proposition déposée par l’eurodéputée luxembourgeoise Mady Delvaux de taxer les robots au niveau européen a donc été refusée par le Parlement européen lors d’un vote en séance plénière le 16 février 2017 pour ne pas « nuire à l’industrie ».
Début 2017, M. Benoît Hamon, candidat des socialistes à la présidence de la République en France, a également avancé l’idée de la taxe sur les robots. Mme Jane Kim, femme politique de San Francisco, pense également qu’une taxe sur les robots pourrait constituer une solution pour réduire les emplois peu qualifiés. Le célèbre scientifique Stephen Hawking lui a également emboîté le pas.
Chez nous, en avril 2017, Etienne de Callataÿ se prononçait justement par rapport à cette problématique4. Selon lui, le débat de la taxe sur les robots présente un double inconvénient : être réducteur et alimenter une appréhension, déplacée, envers la technologie et l’innovation. Il estimait toutefois nécessaire que la sécurité sociale soit financée sur une base plus large que le seul travail et plaidait pour une cotisation sur base de la valeur ajoutée produite des entreprises que cela soit par des travailleurs, des machines ou des robots.
Aujourd’hui, la taxe robot fait toujours débat. Lors de l’élection de mai 2019, le PS et Ecolo s’étaient montrés favorables à celle-ci, alors que le reste des partis francophones était contre, comme le cdH qui argumentait : « Il ne faut pas freiner d’inévitables évolutions technologiques. Par contre, il faut accompagner cette transition numérique en renforçant la formation des travailleurs et en assurant une juste contribution sur les activités des entreprises ».
Bon nombre d’économistes ont répondu, souvent suite aux propositions de Benoît Hamon et de Bill Gates, qu’il était absurde de vouloir taxer la robotisation. L’argumentaire général est que la destruction des emplois et le remplacement par des robots vont permettre des gains de productivité, réduisant ainsi les coûts de production des biens et services. Grâce au pouvoir d’achat ainsi libéré, un redéploiement de la demande devrait donc mécaniquement s’effectuer et diriger la demande vers d’autres secteurs avec création d’emplois à la clé. Dès lors, pour les économistes contre la taxe robot, la robotisation n’est plus perçue comme un problème mais comme une solution économique
Enfin, le Bureau du Plan aux Pays-Bas7 n’est pas favorable à une taxe sur les robots. Il conclut : « Bien que la robotisation puisse avoir un impact sur le marché du travail, un nouvel impôt n’est pas nécessaire; une augmentation de l’impôt sur les revenus du capital et une réduction de l’impôt sur les revenus du travail permettraient de corriger les effets éventuels de l’automatisation sur le marché du travail et la distribution des revenus. L’établissement d’une base d’imposition appropriée pose également problème. Il est très difficile de distinguer les robots et autres investissements destructeurs d’emplois de ceux qui ne le sont pas. De plus, une taxe sur les robots peut inciter les entreprises à investir dans des pays qui n’appliquent pas cette taxe, ce qui rend nécessaire une coordination internationale8.
Lors de la conférence académique annuelle du CESifo, début 2018, M. Uwe Thümmel, chercheur à l’Institut Tinbergen, a remporté « l’Affiliate Award » pour son étude relative à la taxe sur les robots. Il a réalisé un modèle de calcul mathématique pour déterminer l’impôt optimal sur les robots. Dans sa conclusion, il déclare qu’il ne trouve aucun argument solide dans ses modèles pour introduire une taxe sur les robots. Il conclut donc que le gain limité en termes de prospérité résultant d’une taxe sur les robots est tel qu’il ne vaut pas la peine de perturber la répartition des facteurs de production9.
Il y a donc à la fois des partisans et des adversaires de cette taxe.
Alternative à la taxe sur les robots : la cotisation sur la valeur ajoutée (CVA)?
Une alternative défendue notamment par Etienne de Callataÿ est la cotisation sur la valeur ajoutée. L’idée de base d’une CVA est de remplacer les salaires par une mesure plus large, la valeur ajoutée, comme base d’estimation des cotisations de sécurité sociale de l’employeur. Le cœur du raisonnement socio-économique derrière cette proposition est le suivant : si, dans le contexte du progrès technologique, la main-d’œuvre est remplacée par les machines (le capital), alors ces machines devraient contribuer au financement de la protection sociale.
Introduite en France en 2011, la Cotisation sur la Valeur Ajoutée des Entreprises (CVAE) est assise sur la valeur ajoutée produite au cours de la période de référence. La valeur ajoutée est déterminée, entre autres13, à partir du chiffre d’affaires (CA).
En juillet 202014, le Ministre de l’Économie Bruno Le Maire annonçait des réductions fiscales pour relancer l’économie, en plein crise du Covid-19. Le ministre avait déjà fait savoir auparavant qu’il visait en priorité la CVAE, car estimé comme contraire à la relance.