Il n’y a pas de liberté sans responsabilité

Pour Laurent de Briey, la liberté doit être au cœur du projet politique de notre futur mouvement, mais cette liberté doit aller de pair avec la responsabilité. Eclairage avec le pilote de « Il fera beau demain – Mouvement positif » qui est aussi professeur de philosophie à l’Université de Namur.
Le confinement réduit nos libertés depuis maintenant de longs mois au nom de la sécurité sanitaire. Est-ce que vous pensez que l’opposition entre sécurité et liberté va devenir un nouveau clivage politique essentiel à l’avenir ?
C’est vrai que l’on oppose souvent liberté et sécurité, comme on oppose aussi liberté et égalité, mais c’est en fait beaucoup plus compliqué que cela. C’est certain qu’une égalité parfaite, comme une sécurité totale, demanderait de supprimer toute forme d’incertitude ou de différence et qu’il n’y aurait plus de place pour la liberté. Mais, d’un autre côté, est-ce que le code de la route limite ma liberté de déplacement ou la rend possible ? Bien entendu, la loi vous dit que vous ne pouvez pas rouler trop vite ou que vous devez vous arrêter à un feu rouge, bref que vous ne pouvez pas faire tout ce que vous voulez sur la route. Mais imaginez qu’il n’y ait pas de code de la route, que lorsqu’une voiture vient sur votre gauche, vous ne savez pas si elle va s’arrêter, ou que lorsqu’une voiture arrive en face de vous, vous ignorez si elle va rester du côté droit de la route. Vous ne vous sentiriez pas en sécurité et vous n’oseriez pas conduire. Votre liberté serait beaucoup plus réduite que par le code de la route.
C’est la même chose avec la Covid. Si on laissait courir le virus, nous risquerions tous de tomber malades au moindre contact. Nous nous confinerions de nous-mêmes encore plus qu’actuellement et cela durerait plus longtemps. Nous avons besoin de retrouver une plus grande sécurité sanitaire pour être libres.
Oui mais le virus ne représente pas le même danger pour tout le monde et les conséquences du confinement sont bien plus graves pour la culture, les métiers de contacts ou l’Horeca par exemple que pour un fonctionnaire.
C’est très juste et c’est ce qui rend la situation actuelle si difficile à vivre. Pour certains, ce qui limite le plus leurs libertés, c’est la menace de la maladie. Pour d’autres, c’est le risque de faillite. Pour d’autres encore, c’est de ne pas pouvoir voir leurs proches.
Nous sommes tous vulnérables, mais pas de la même manière, d’où l’importance des aides pour les secteurs économiques les plus touchés. Mais le Gouvernement devait avoir conscience, dès le début de ce second confinement, qu’il allait durer de longs mois et il aurait peut-être pu planifier une certaine rotation dans les mesures prises. Privilégier l’ouverture des commerces pendant un mois, les métiers de contacts le mois suivant et les contacts sociaux le troisième. Cela aurait donné des perspectives. Il est d’ailleurs toujours temps d’y penser et de donner un peu d’espoir à ceux qui souffrent le plus aujourd’hui, les jeunes notamment.
Les inégalités entre les groupes sociaux rendent la limitation des libertés encore plus difficile à vivre. Et c’est d’autant plus problématique qu’il n’y a pas eu de vrai débat au Parlement sur l’équilibre à trouver. Le Gouvernement continue à fonctionner comme s’il disposait des pouvoirs spéciaux alors que ce n’est plus le cas. Ce n’est pas démocratique.
La liberté, ce sera une valeur importante dans le mouvement politique auquel « Il fera beau demain – Mouvement positif » donnera naissance ?
Je ne peux pas présumer du résultat du processus mais je le souhaite.
La liberté doit être au cœur d’un projet politique parce que la liberté n’est pas une réalité individuelle, mais une construction collective. Il n’y a de liberté qu’au sein d’une société où nous nous reconnaissons mutuellement comme des êtres de droit ayant les uns les autres une dignité singulière. Il n’y a de liberté qu’en présence d’institutions qui garantissent le respect de nos droits et de notre dignité. Mais surtout, il ne peut y avoir de liberté sans relations, sans convictions, qu’il y ait un autre, qu’il y ait des autres, pour lesquels mon existence et les actes que je pose importent. Une société, ce n’est pas la simple coexistence d’individus vivant les uns à côté des autres.
C’est avant tout des personnes vivant les unes avec les autres. Robinson sur son île, avant de rencontrer Vendredi, n’était pas libre. Il était seul.
Mais la liberté est déjà la valeur première des libéraux. Qu’est-ce qui différencierait le nouveau mouvement ?
Les libéraux ont tendance à réduire la liberté aux droits individuels.
Ils oublient qu’il n’y a pas de liberté sans responsabilité. Plus grand est notre pouvoir, plus larges sont nos droits, plus forte est notre responsabilité envers les autres et la société. Il ne suffit pas d’avoir le droit de dire ou de faire quelque chose pour qu’il soit légitime de le faire. La loi ne peut pas tout prévoir, ni tenir compte de toutes les circonstances. C’est pourquoi la respecter ne suffit pas pour être responsable. Il faut aussi tenir compte du contexte dans lequel on exerce ce droit, du pouvoir que cela nous donne sur les autres et, parfois, s’abstenir de faire quelque chose – ou au contraire décider de le faire – par égard pour les autres. La responsabilité, c’est donc mettre à profit ses droits, ses capacités, son pouvoir pour entreprendre et contribuer au bien-être commun.
Une manière simple de s’interroger sur sa responsabilité, c’est de se mettre à la place de l’autre et de se demander comment nous souhaiterions que l’autre use de ses droits.
Si nous n’apprécierions pas d’être à sa place, c’est peut-être que nous sommes sur le point d’abuser de nos droits. La responsabilité c’est,
au contraire, mettre à profit ses droits, ses capacités, son pouvoir pour contribuer au bien-être commun et favoriser l’épanouissement de chacun.
D’ailleurs, dans quelle société, pensez-vous que nous avons le plus de chance de nous épanouir librement ?
Dans une société où chacun se contente de respecter la loi et de rechercher sa satisfaction personnelle ? Ou dans une société où chacun fait preuve de bienveillance à l’égard des autres ?
Être responsable, en fait, c’est prendre soin des autres ?
Oui, c’est prendre soin des autres, mais c’est aussi prendre soin de soi. Notre bien-être compte autant que celui des autres.